De l’emprunt au fardeau
La dette souveraine est aujourd’hui l’un des enjeux économiques les plus critiques pour l’Afrique. Emprunter permet aux États de financer énormément de choses comme des infrastructures, des systèmes éducatifs ou même des hôpitaux. Cependant, lorsqu’elle est contractée à des conditions défavorables, la dette devient rapidement un lourd fardeau. Comme évoqué dans notre premier article, des pays comme le Ghana se sont tournés vers des mécanismes financiers de plus en plus complexe pour tenter de stabiliser leurs finances publiques.
Selon le FMI, « en 2024, environ 40 % des pays à revenu faible de l’Afrique subsaharienne sont actuellement en situation de surendettement ou présentent un risque élevé » (AFRICANEWS, 2024).
Dans cet article, nous explorerons les principaux pièges de la dette, le rôle parfois controversé des agences de notation, les mécanismes de restructuration en cas de crise, ainsi que l’intervention d’acteurs comme le FMI ou la Banque européenne d’investissement (BEI) dans la gestion de ces situations.
Pièges de la dette : quand emprunter devient un cycle vicieux
Un piège de la dette se forme lorsqu’un pays est contraint d’emprunter non plus pour investir, mais simplement pour rembourser des dettes passées. C’est l’idée selon laquelle les prêts consentis par des pays riches et des institutions internationales à des pays en développement auraient enfermé ces derniers dans une dépendance vis-à-vis de leur créancier (Geoconfluence, 2023). Les dépenses d’intérêts deviennent si lourdes qu’elles empiètent sur tout le budget public. Le pays continue donc d’emprunter pour éviter le défaut, aggravant encore la situation. Ce phénomène est souvent lié à une charge élevé de remboursement, une dépendance aux prêt en devises étrangère et une dépendance à l’exportation des matières première.
Par exemple, lorsque les matières premières représentent 60 % ou plus des recettes d’exportation de marchandises d’un pays, ce pays est considéré comme étant « dépendant des produits de base »(CNUCED, 2023). Les pays qui dépendent de quelques produits de base ou même d’un seul , comme la Zambie qui dépend du cuivre, ont une économie encore plus vulnérables. Une chute des prix des produits de base peut réduire les recettes d’exportation, entraînant des problèmes tels que la réduction des investissements publics, l’augmentation de la dette publique et un risque accru de défaut de paiement. C’est ainsi qu’en novembre 2020, la Zambie s’est vu être le premier pays africain, depuis la Mozambique en 2016, à faire défaut sur sa dette souveraine. C’est à dire qu’elle n’est pas parvenu à honorer son paiement de 42,5 milliard de dollars. (Georgetown, 2023)
Les conséquences ne sont pas uniquement économiques. Elles sont aussi sociales. Quand la priorité est donnée au remboursement de la dette, les budgets pour la santé, l’éducation ou les infrastructures se retrouvent considérablement réduits. Ce sont les populations les plus vulnérables qui en paient le prix.
Les Veilleurs : agences de notation et leurs effets
Les agences de notation évaluent la capacité d’un emprunteur, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un État ou d’une collectivité, à rembourser sa dette. Les principales agences mondiales sont Moody’s, Fitch Ratings et Standard & Poor’s. Ces agences jouent un rôle important car le risque financier a un coût, appelé la prime de risque, qui s’ajoute aux intérêts d’un emprunt. Plus une dette est jugée risquée, plus sa note est faible, ce qui influence directement son coût. Ainsi, la note attribuée par une agence détermine en grande partie le prix de la dette . (Vie Publique, 2023).
Lorsqu’une entreprise ou un État obtient une mauvaise note de crédit, cela reflète une perception accrue du risque de non-remboursement. En conséquence, ils doivent proposer des taux d’intérêt plus élevés pour attirer les investisseurs, ce qui renchérit le coût de leur financement. À l’inverse, une bonne notation réduit ce risque perçu, leur permettant d’emprunter à des taux plus avantageux. Ce mécanisme est dit « procyclique » : quand la situation financière d’un emprunteur se détériore (même pour des raisons extérieures), sa note baisse, ce qui rend ses emprunts encore plus coûteux. Cela peut créer un cercle vicieux et aggraver sa situation. (La finance pour tous, 2024).
Ces agences de notation n’ont pas épargné le Ghana. Alors que trois d’entre elles ont classé la dette souveraine du pays comme « spéculative », le gouvernement redoute les conséquences. Le ministre ghanéen des Finances s’est dit « déçu » par la décision de Standard & Poor’s (S&P), l’une des trois agences aux côtés de Moody’s et Fitch Ratings, de rétrograder la note du Ghana, et ce malgré les mesures ambitieuses mises en place en 2022 : l’introduction de la taxe sur les transactions électriques, la réduction des dépenses publiques, et l’augmentation des taux d’intérêt, dans le but de garantir la soutenabilité de la dette, déjà fortement aggravée par les chocs externes mondiaux. (Reuters, 2022)
En évoquant le contexte plus large, Macky Sall souligne qu’en 2020, au plus fort de la pandémie du Covid-19, 18 des 32 pays africains évalués par au moins une grande agence ont vu leur note abaissée. Cela représente 56 % des pays africains notés, contre une moyenne mondiale de 31 % durant la même période. Il ajoute en disant: « Des études ont montré qu’au moins 20 % des critères de notation des pays africains relèvent de facteurs plutôt subjectifs d’ordre culturel ou linguistique, sans lien avec les paramètres qui jaugent la stabilité d’une économie.» (Afriquechronique, 2024).
De nombreux responsables africains dénoncent un biais structurel dans ces notations. Elles ignorent souvent les réformes locales, les dynamiques politiques positives ou les efforts budgétaires. D’où la proposition croissante de créer des agences de notation africaines, plus en phase avec les réalités du continent.
Restructurer la dette : bouée de sauvetage ou dernier recours ?
Lorsqu’un pays est accablé par une dette insoutenable, il est essentiel d’engager rapidement un processus de restructuration afin d’en limiter les conséquences négatives. La restructuration se fait en renégociant les termes: en allongeant les délais, en réduisant les taux, ou en annulant une partie de la dette. Plus cette démarche tarde, plus les difficultés s’aggravent, : l’ajustement devient plus complexe, et les coûts augmentent tant pour le pays débiteur que pour ses créanciers. Les retards prolongent la souffrance des populations, exposées au chômage et à la pauvreté, tandis que les créanciers voient leurs pertes s’accroître dans l’attente d’une reprise économique. (C. Paearbasioglu, 2024).
C’est ce qu’a fait le Ghana, en situation de surendettement en 2023, avec l’aide du cabinet financier Lazard, afin de desserrer l’étau budgétaire et éviter une crise plus grave (Lazard, 2025). L’analyse de viabilité de la dette montrait que cette dernière était insoutenable (Joy Buisness, 2024). La dette publique Ghanéenne atteint aujourd’hui plus de 721 milliards de cedis ghanéens, environ 47 milliards de dollars. Le président John Dramani Mahama a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec les créanciers officiels du Ghana, qui semble être une étape clé vers une restructuration de la dette .(Anadolu,2023).
Cependant, restructurer la dette n’est pas sans risque. Cela peut nuire à la réputation du pays sur les marchés, refroidir les investisseurs et entraîner une nouvelle dégradation de la note de crédit.
Le rôle des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, BEI) dans la restructuration de la dette des pays africains
Les institutions financières internationales jouent un rôle clé dans la gestion et la restructuration de la dette des pays africains. Le Fonds monétaire international (FMI) intervient surtout en période de crise, notamment via la Facilité élargie de crédit. Ces prêts visent à stabiliser l’économie, mais sont assortis de conditions strictes : réduction des dépenses publiques, réformes fiscales, suppression des subventions. Ces mesures peuvent entraîner des tensions sociales, comme au Soudan ou en Tunisie (Le Monde, 2024).
Le FMI apporte de la crédibilité, un soutien temporaire, et favorise la stabilisation macroéconomique. Mais il soulève également des critiques liées aux impacts sociaux, à la dépendance, et aux atteintes à la souveraineté. Il participe à la restructuration via le Cadre commun du G20, en coordonnant les créanciers pour alléger ou rééchelonner les dettes.
La Banque mondiale, de son côté, agit sur le long terme. Elle propose des prêts concessionnels, de l’assistance technique, et a lancé des initiatives en faveur des Pays Pauvres Erès Endettés (PPTE) qui vise à réduire la dette des pays les plus pauvres à un niveau soutenable, en échange de réformes économiques et de l’engagement à investir dans la lutte contre la pauvreté. Elle soutient aussi la transparence et la gestion responsable de la dette.
La Banque européenne d’investissement (BEI) finance des projets d’infrastructure et de climat. Leur approche, axée sur le développement durable, contribue à rendre la dette plus soutenable. Cependant, leurs procédures sont souvent lentes et complexes, ce qui limite l’accès pour les pays à faibles capacités administratives (Wikipedia, 2024).
Conclusion : une dette au service du développement, pas un piège
La dette n’est pas un mal en soi. Bien utilisée, elle permet de bâtir des routes, des écoles, des hôpitaux. Mais mal gérée, elle devient un piège, un facteur de dépendance, un obstacle au développement.
L’Afrique est à un tournant. Des exemples comme le Ghana ou la Zambie montrent qu’il est possible de sortir d’une crise. Mais cela demande une vision sur le long terme, du leadership et des solutions adaptées aux réalités africaines. L’avenir de la dette sur le continent ne doit pas se jouer à Washington ou à Londres, il doit se construire à Accra, Dakar, Nairobi, Lusaka ou Tunis. Avec plus de transparence, plus d’innovation, et plus de souveraineté, la dette peut redevenir un outil d’émancipation.

Bibliographie
- /28 developing countries including Ghana remain stuck in debt trap – World Bank – MyJoyOnline. (s. d.). MyJoyOnline. https : //www-myjoyonline-com.translate.goog/28-developing-countries-including-ghana-remain-stuck-in-debt-trap-world-bank/ ? _x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=rq #
- École normale supérieure de Lyon. (s. d.). Piège de la dette — Géoconfluences. 2002 Géoconfluences ENS de Lyon. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/piege-de-la-dette#:~:text=Le%20pi%C3%A8ge%20de%20la%20dette,cr%C3%A9anciers%20et%20de%20leurs%20d%C3%A9cisions
- Ghana : un dialogue national pour relancer l’économie. (s. d.). https://www.aa.com.tr/fr/afrique/ghana-un-dialogue-national-pour-relancer-l-%C3%A9conomie/3500952#
- Kamara, S. (2024, 24 mai). Ghana : les agences de notation sont-elles encore crédibles ? Afrique Chronique. https://afriquechronique.com/ghana-les-agences-de-notation-sont-elles-encore-credibles/
- Kouassi, C. (2001, 18 février). Le surendettement, un risque qui guette l& # 039 ; Afrique subsaharienne – FMI. Africanews. https://fr.africanews.com/amp/2018/05/08/le-surendettement-un-risque-qui-guette-l-afrique-subsaharienne-fmi/
- La dépendance aux matières premières : 5 choses à savoir. (2023, 9 octobre). ONU Commerce et Développement (CNUCED). https://unctad.org/fr/news/la-dependance-aux-matieres-premieres-5-choses-savoir
- La restructuration des dettes souveraines progresse sur fond de coopération et de réformes. (2024, 26 juin). IMF. https://www.imf.org/fr/Blogs/Articles/2024/06/26/sovereign-debt-restructuring-process-is-improving-amid-cooperation-and-reform
- Rpm. (2025, 9 janvier). The Zambian Debt Default : A Structuralist Perspective | GJIA. Georgetown Journal Of International Affairs. https://gjia-georgetown-edu.translate.goog/2025/01/09/the-zambian-debt-default-a-structuralist-perspective/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=rq#:~:text=Default%20and%20the%20Debt%20Crisis,exports%2C%20the%20country’s%20main%20export.
- Tous, L. F. P. (2024, 21 juin). Fonctionnement des agences de notations – La finance pour tous. La Finance Pour Tous. https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/marches-financiers/acteurs-de-la-finance/agences-de-notation/fonctionnement-agences-notation/
- Gasteli, N. (2024, 4 juin). La Tunisie évite le défaut de paiement malgré une économie stagnante et surendettée. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/06/04/la-tunisie-evite-le-defaut-de-paiement-malgre-une-economie-stagnante-et-surendettee_6237279_3212.html
- The 2020-2025 Sovereign Debt Crisis : What have we learnt and what lies ahead ? (s. d.). https://lazard.com. https://lazard.com/research-insights/the-2020-2025-sovereign-debt-crisis-what-have-we-learnt-and-what-lies-ahead/?utm_source=chatgpt.com
- Banque européenne d’investissement — Wikipédia. (2024, 7 juillet). https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Banque_europ%C3%A9enne_d%27investissement